Texte de Claude Lussier
Chapitre 1
Deux ans dans le placard.
Deux ans à faire semblant que tout allait bien.
Pourtant, la maladie évoluait en moi.
Et mine de rien, l’épée de Damoclès s’installait au-dessus de ma tête.
Puis un grand frisson m’a traversé le corps.
Soudain, j’ai eu peur.
LES PREMIERS SIGNES / Été 2018
Il n’y a rien de pire que le doute… l’incertitude.
C’était un bel après-midi d’été. Il faisait beau, il faisait chaud. Je m’en souviens comme si c’était hier. C’est le genre de d’anecdote que tu n’oublies pas.
Tout juste sorti de la piscine, je m’allonge sur ma chaise longue avec l’intention de piquer un p’tit roupillon. Au moment où je ferme les yeux, mon épouse Sylvie, qui se tient droit devant moi, me dit que j’avais reçu un appel de l’hôpital Saint-François D’Assise pour rencontrer un neurologue, le Dr Yannick Nadeau. Une gracieuseté de mon médecin de famille qui avait pris ce rendez-vous pour moi, à la suite de mon dernier rendez-vous annuel.
Rendez-vous au cours duquel je lui avais fait part de mes craintes à propos d’un léger tremblement du bras gauche quand je l’appuyais sur le bord de la table en lisant mon journal.
« Comment ça un neurologue ? »
Comme réponse, mon épouse me tend le téléphone… Au bout du fil, c’est mon fils Jean-Sébastien qui en rajoute une couche en me disant qu’il sera présent parce qu’il veut en avoir le cœur net, que ça me plaise ou non.
Le cœur net de quoi ?
Sylvie poursuivi l’offensive : « Anne-Marie (notre fille), trouve aussi que tu as changé. Tu as perdu de la masse musculaire. Tu as l’air fatigué. Certains de tes amis qui la croisent lui posent toujours la même question : ton père a changé, est-il malade ? »
Le téléphone raccroché, le silence reprend ses droits. Les yeux humides, je cache mon désarroi derrière mes lunettes fumées, refusant d’admettre que je n’avais plus d’arguments éviter de voir la triste réalité qui se pointait à l’horizon.
Ils avaient raison…
Mon meilleur ami, Richard Labrecque alias Tokyo, que je considère comme un frère, avait lui aussi noté un changement dans ma démarche. J’étais plus lent, je donnais l’impression d’éprouver une grande fatigue. Mais probablement par pudeur, il préférait ne pas aborder le sujet, préférant confier ses inquiétudes à mon épouse.
Bref, tout le monde autour de moi constatait que quelque chose déraillait. Le seul qui ne voyait pas du même œil ces signes avant-coureur c’était moi. Maudit orgueil mal placé.
Pourtant, dans mon for intérieur, je savais que quelque chose clochait. Au golf par exemple, j’étais rendu sur les jalons blancs alors que j’avais toujours joué des jalons bleus. Mes coups de départs étaient moins longs, même si je forçais comme un damné. Et après 12 trous je manquais d’énergie…
Les derniers 6 trous prenaient l’allure d’un chemin de croix !
Chapitre 2
EST-CE QUE ÇA VA ?
Je me plais souvent à dire que mes enfants sont ma fierté et que mes trois petits fils adorés, Hubert, Simon et Charles, sont ma motivation. Sans oublier ma belle-fille, Julie Beaudoin, qui est médecin à Lévis.
Parenthèse : Mon plus grand souhait demeure de voir grandir le trio McDo. D’accompagner mes petits fils dans leur cheminement le plus longtemps possible. Surtout que les prochaines décennies ne seront peut-être pas de la tarte pour ces générations. Fin de la parenthèse.
Quelques jours avant ma rencontre avec celui qui allait devenir mon neurologue, le Dr Yannick Nadeau, nous avions un souper de famille chez mon fils…
Lors de cette rencontre familiale, comme lors des dernières que nous avions eues, j’étais moins impliqué dans les conversations. J’avais l’air du gars perdu dans ses pensées alors qu’en réalité mon plaisir était de les regarder bouger, jaser, s’obstiner, se chamailler. Comme si je voulais enregistrer ces précieux moments sur mon disque dur… au cas où.
Est-ce que ça va ?
Cette maudite question, on me la posait aux dix minutes. Chaque fois, je répondais la même chose : « Ça va très bien, je me plais à vous regarder et je savoure ces moments précieux. »
Mais je n’ai convaincu personne… Même pas mes petits-fils !
Chapitre 3
RENCONTRE AVEC LE NEUROLOGUE
Puis arriva le matin du rendez-vous à l’hôpital Saint-François d’Assise.
Flanqué de Sylvie et Jean-Sébastien, j’ai pris place en face du Dr Yannick Nadeau. Je n’en menais pas large… On va se dire les vraies affaires, j’avais la chienne !
Cette première rencontre permit au Dr Nadeau de me donner l’heure juste. Sans tourner autour du pot, il me fit comprendre que j’affichais des symptômes liés à la maladie de Parkinson. Aucune possibilité de retour en arrière… Il fallait maintenant aller de l’avant…
À la fin de la rencontre, d’une voix neutre, il glissa une phrase qui illumina aussitôt mon cerveau : « Pour l’instant, je ne peux pas vous déclarer Parkinson. Je ne veux pas risquer un diagnostic dont je ne suis pas certain. On en saura plus long lors de notre deuxième rendez-vous dans six mois. »
Au cours de cette rencontre initiale, le Dr Nadeau m’a aussi suggéré de cesser de travailler, de continuer à jouer au hockey mais avec des gars de 70 ans et plus, de profiter des prochaines années pendant que j’avais encore une belle qualité de vie… Wow, wow les moteurs docteur !
« Êtes-vous en train de me dire que mes jours sont comptés ? »
« Non, non, je n’ai pas dit ça. C’est juste que je vous suggère de prendre ça mollo, de diminuer la cadence. »
Je lui ai rappelé que mon nom était Claude Lussier et non Aurèle Joliat (ancien joueur de hockey célèbre). À 64 ans, je ne me sentais pas du tout comme un gars passé date. D’autant plus que mes examens de santé annuels n’affichaient aucun problème au niveau du cœur, des poumons, de la prostate. Pas de diabète et encore moins de cholestérol. Alors, il est où le problème ?
Une fois de plus je m’entêtais, refusant de voir la réalité en face.
Chapitre 4
VERDICT SANS APPEL
C’est à la deuxième rencontre que le Dr Nadeau laissa tomber le verdict tant redouté : le Parkinson venait de s’inviter chez moi. Maudite marde !
Curieusement, je n’ai pas vraiment eu de réaction lorsque la sentence fut prononcée. Sur le coup, la seule chose que j’ai dite au doc c’est que je voulais voir mes petits-fils grandir et être auprès d’eux le plus longtemps possible. Là-dessus, le Dr Nadeau m’a rassuré : le Parkinson n’est pas une maladie mortelle, même si on sait qu’on n’aura éventuellement pas le dernier mot.
J’ai donc quitté l’hôpital dans un drôle d’état d’esprit. D’une part, le doute et l’incertitude faisaient place au soulagement de savoir ce qu’il en était vraiment. Mais en même temps, la colère n’a pas pris de temps à s’installer en moi. Pourquoi cette putain de maladie s’était nichée en moi sans avoir reçu une invitation en bonne et due forme ?
Et comme toute personne recevant un diagnostic de cancer, de maladie neurodégénérative ou autre, mon premier réflexe a été de me demander, pourquoi moi ?
De retour à la maison, je me suis réfugié dans mon bureau. Et assis dans ma chaise, j’ai pleuré comme un veau. Les nerfs venaient de tomber.
Pendant plusieurs semaines j’ai vécu une profonde phase de déni. Mais la prise des médicaments, trois fois par jour, m’a vite fait prendre conscience de ma nouvelle réalité. Le Parkinson était là pour rester, que ça me plaise ou non.
Chapitre 5
LE DÉNI
Ça m’a pris deux ans avant de me faire une raison pour de bon. De faire la paix avec moi-même. Deux ans à jouer à faire semblant. Une journée, je croyais avoir dominé ma peur devant l’inconnu, le lendemain je traversais ce qui s’apparente à une crise d’angoisse.
Au cours de cette période où je valsais entre angoisse et acceptation, j’évitais toute documentation traitant du Parkinson. Par exemple, trois jours après avoir reçu le diagnostic, je décide de regarder l’émission Découvertes avec Charles Tisseyre le dimanche soir. La thématique de l’émission ce soir-là ? Je vous le donne en mille ; le Parkinson et les traitements expérimentaux pour diminuer sensiblement les tremblements. Une production de la BBC où ils ont suivi 6 personnes atteintes à différents degrés pendant six mois… Après dix minutes, je me suis garroché sur Netflix !
Ne me dites pas que je vais devenir un branleux !
Chapitre 6
SORTIR DU PLACARD
Au cours de ces trois années, j’ai tant bien que mal caché à mes clients et connaissances ma nouvelle réalité. Mais je l’avoue, plusieurs d’entre eux avaient des doutes. Seuls ma famille immédiate et mon meilleur ami et confident, Richard, étaient au courant de ma réelle situation.
« Pourquoi rester dans le placard ? Pourquoi ne pas le dire ouvertement ? Après tout, tu n’es pas lépreux, tu ne souffres pas d’une maladie honteuse. Chiante, certes, mais pas honteuse bordel ! »
Je sais, je sais, ils avaient raison. Une fois de plus.
Mais j’appréhendais la réaction et le regard des autres. Je craignais que le fait d’être atteint d’une maladie neurodégénérative soit perçu comme une faiblesse, comme une crainte que je ne sois plus en mesure de servir adéquatement mes clients. J’étais angoissé à l’idée de voir la compétition les solliciter en leur disant que j’étais fini. Bref, je n’étais pas loin de la paranoïa…
C’est pourquoi au fil des mois j’ai joué tant bien que mal au gars qui allait bien avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Bon comédien mais mauvais menteur. La seule personne à qui je ne pouvais jouer la comédie était mon épouse Sylvie.
Parenthèse : J’ai consulté un psychologue. Quelques séances qui m’ont permis d’exprimer et d’extérioriser mes angoisses et ma rage. Le psy était attentif à ce qui me grugeais l’intérieur et m’a aidé à relativiser ma situation. Si vous vivez des situations similaires à ce que j’ai vécu, n’hésitez pas à consulter. Ça fait moins mal qu’un traitement de canal chez le dentiste ! Fin de la parenthèse.
Entre-temps, doucement et sans aucune pression, Sylvie me répétait que le temps était venu de rencontrer mes clients pour leur exposer ma situation.
Chapitre 7
UN ACCUEIL CHALEUREUX QUI REDONNE COURAGE
À ma grande surprise, la réaction chaleureuse de ma clientèle me fit comprendre que le moment était venu d’arrêter de « roter le baloney ». Non, ce n’est pas moi qui vais apprendre à vivre avec le Parkinson… c’est le Parkinson qui va apprendre à vivre avec moi !
« Quand je joue au hockey, je sais que tu m’en veux de te faire brasser pendant une heure trente minutes. Je sais que tu préférerais que je te laisse tranquille, bien écrasé dans mon fauteuil à regarder la télévision, mais pas question de te céder un pouce de terrain ! »
« Idem quand tu dois me suivre au golf. Je sais très bien qu’une promenade de quatre heures et demie dans la nature n’est pas ta tasse de thé. Sans oublier ma marche rapide de trois kilomètres quatre jours par semaine. Ça te fait mal de voir mes muscles s’étirer, se renforcer, au lieu de régresser en hypocrites. »
« Quand tu as décidé de t’inviter dans mon corps, dans ma vie, tu ne te doutais pas à quel numéro tu t’attaquais. Je sais que tu as dans ta tête de cochon de me faire la vie dure, que ton but ultime est de me faire plier les genoux. »
« Je ne connais pas tout de toi. Mais je me fais la promesse de te faire la vie dure. Mets-toi dans le crâne que ce ne sera pas une marche de tout repos pour toi Parkinson. »
Chapitre 8
TELLEMENT D’INCONNU
Il y a encore beaucoup trop de tabous entourant le Parkinson. Pour la vaste majorité de la population, cette maladie se résume à des tremblements qui affectent les personnes âgées…
C’est une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de m’impliquer au sein du conseil d’administration de Parkinson Région de Québec Chaudière-Appalaches. Pour aider et mettre à contribution mes relations avec les médias afin de mieux faire connaître l’organisme mais surtout, la maladie de Parkinson et la réalité des personnes qui en sont atteintes.
Je n’ai pas la prétention de tout connaitre au sujet de cette maladie neurodégénérative. Mais ce que je sais au moment d’écrire ces lignes, c’est que son évolution est propre à chaque personne. Alors ne vous fiez pas à ce que vous voyez chez d’autres personnes atteintes. Il demeure difficile de savoir la rapidité avec laquelle la maladie va évoluer chez chaque personne.
En effet, il s’agit d’une maladie lentement évolutive. La nature et l’intensité des symptômes varient d’une personne à l’autre et les premiers symptômes ne sont pas toujours associés au Parkinson et peuvent passer inaperçus. On parle ici de dépression, de perte de l’odorat et de troubles du sommeil pouvant apparaître jusqu’à 10 ans avant les symptômes moteurs.
Il n’en demeure pas moins que le Parkinson est une maladie progressive et que les symptômes s’aggravent avec le temps. À ce jour, la recherche n’a pas encore permis de développer un médicament ou un traitement permettant d’en guérir. Mais les scientifiques poursuivent inlassablement leurs travaux pour un jour y parvenir. C’est pourquoi chaque dollar amassé pour la recherche est un pas de plus vers la réussite.
Pour l’instant le mieux qu’on puisse nous offrir est de ralentir la progression de la maladie et d’en atténuer les symptômes à l’aide d’une médication adaptée à chaque cas.
Chapitre 9
UNE LEÇON D’HUMILITÉ
Mais s’il y a une chose sur laquelle les neurologues et les chercheurs s’entendent, ce sont les bienfaits de l’exercice physique qui demeure le meilleur remède pour ralentir la progression de la maladie.
Mon passé de sportif et ma bonne santé… physique, font en sorte que cette prescription m’encourage à poursuivre ma route avec beaucoup plus de résilience et de sérénité.
Être atteint d’une maladie comme le Parkinson bouleverse notre vie. Par la force des choses c’est également une leçon d’humilité qui nous force à prendre conscience de la précarité de la vie.
Je ne veux pas donner l’impression d’être jovialiste, mais après la colère et le déni, il faut faire la paix avec soi-même et prendre ça une journée et une année à la fois. Il faut continuer à rêver au lieu de s’inquiéter à propos de tout et de rien.
Il faut avoir des projets à court, à moyen et à long terme. Et en les entretenant il nous est plus facile d’afficher une attitude positive. Aussi, ne craignons pas d’assaisonner le tout avec une pointe d’humour, ça fait du bien au cœur et à l’âme. Tout devient alors une question d’attitude.
WHEN THE GOING GETS TOUGH, THE TOUGH GET GOING !
Vous savez, il y a 365 jours dans une année.
Un jour de ces jours, on va mourir.
Question : Qu’est-ce qu’on fait les 364 autres jours ?
Réponse : On aime, on rit, on bouge, on vit quoi !
La vita è bella ! La vie est belle !
On n’est pas des branleux,
Texte de Claude Lussier,
Été 2022
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